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Retour vers le futur, code du travail!

Par Le 30/03/2019

Retour vers le futur (en ouvrant de temps en temps son code du travail) :

À propos du jugement rendu le 15 janvier dernier, condamnant le transporteur T2C à réparer le licenciement d’un chauffeur qui refusait de serrer la main de plusieurs collègues femmes.
 

On peut -et même il faut - tout à fait comprendre les réactions passionnées que suscite ce genre de décision de justice. Pour autant, le temps presse. Il devient alors essentiel de comprendre ce qui ne va pas, pour de ne pas être systématiquement dans la réaction qui induit une posture inefficace, purement défensive. Puis des erreurs grossières, qui se renouvellent. S’il est légitime de se montrer critique envers l’institution judiciaire, particulièrement le conseil de prud’hommes, les dysfonctionnements n’expliquent pas tout et certainement pas ce jugement du Conseil de Prud’hommes de Clermont Ferrand rendu le 15 janvier dernier.

En l’espèce actuelle, il n’est pas tout à fait interdit d’observer que la gestion de cette affaire par l’employeur relève, ici, d’une légèreté incroyable qui a permis à un islamiste de pavaner en transformant son procès en un énième cirque médiatique - et encore, T2C échappe à l’humiliation de la nullité-réintégration - . Ainsi, par la grâce d’un employeur (1) qui oublie un principe élémentaire (2) et ne pouvait qu’échouer en invoquant un motif inefficace (3), on donne des bâtons pour se faire battre. Comprendre. Pour éviter que cette situation ne se reproduise trop souvent. Car à vrai dire, ça en devient gênant s’agissant d’entreprises qui, à l’opposé des petites PME, possèdent largement les moyens de remettre en cause leur pratique du droit social.

(1) De quel employeur parlons-nous, en l’occurrence ? D’un Établissement public industriel et commercial (EPIC), T2C, lequel est engagé auprès de l’Autorité organisatrice des Transports de l’agglomération clermontoise par un contrat de Service Public. Ce détail n’en n’est pas un, car en d’autres termes, il s’agit d’une entreprise chargée d’une mission de service public, qui emploie des salariés dans des conditions de droit privé. Cette figure juridique postule un schéma original: celui d’une hybridation des sources de droit qui régissent la relation de travail. Ainsi, un employeur comme T2C relève du droit du travail mais aussi, de manière dérogatoire et pour certains sujets, de dispositions spéciales qui s’inspirent directement du droit de la fonction publique. Cela peut concerner le statut du personnel comme dans la plupart des EPIC, les articles L.1111-1 et L.1211-1 du Code du travail prévoyant expressément que les règles entourant la formation et la rupture du contrat de travail relèvent du droit commun, sous réserve des exceptions statutaires. Mais cela concerne également la question du fait religieux au travail. En ce sens, si l’arrêt Baby Loup du 19 mars 2013 a été largement commenté, la Cour de cassation a également rendu, le même jour, un arrêt tout aussi important, dit « arrêt CPAM». Cette dernière décision confirmait que les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé. Par conséquent, si les dispositions du Code du travail ont vocation à s’y appliquer, les salariés de ces entreprises sont néanmoins soumis à des contraintes spécifiques qui résultent du fait qu’ils participent à une mission de service public. À l’exact instar des obligations inhérentes aux fonctionnaires, ceci s’oppose donc notamment à toute manifestation de de sa croyance religieuse par des signes extérieurs, que l’on soit en contact avec les usagers dudit service public, ou pas ( cass. soc, 19 mars 2013, n° 12-11.690). Mais voici qu’au gré des stratégies contentieuses , les agents mis en cause nient toute expression religieuse ou, au contraire, la mettent en avant. Il est parfois inutile et même contreproductif de mobiliser des principes dont on est incapable de démontrer qu’ils s’appliquent. Il faut alors s’adapter. D’autant que les principes de fond qu’on invoque pour motiver un licenciement obéissent eux mêmes à un principe-cadre.

(2) De quel principe parlons-nous plus haut ? De celui qui conduit, depuis 1973, à apprécier le bien fondé d’un licenciement au regard d’une cause réelle et sérieuse. En apparence, cette notion est simple. Elle signifie que le motif doit être existant , matérialisé et suffisamment important. Mais cette notion préfigurait déjà une distinction majeure entre, d’une part, le motif invoqué par l’employeur et, d’autre part, le motif véritable du licenciement, celui que le juge prud’homal est toujours obligé de rechercher, au delà des apparences du seul motif énoncé dans le courrier de rupture.

De cette règle d’évaluation judiciaire du licenciement qui se substituait à la notion d’abus de droit, découlait alors un autre principe : les termes du courrier de rupture fixent les limites du litige. L’employeur est par conséquent tenu par les termes de son propre courrier de licenciement : il ne peut plus revenir en arrière et substituer à un motif qu’il énonce, un autre motif plus accommodant. Quand bien même il serait en mesure de prouver la matérialité de ce motif plus accommodant. One shot. Ainsi conçue, la cause réelle est celle qui est non seulement avérée , mais encore la cause exacte, qui est à l’origine du licenciement. Si je licencie Albert pour avoir commis un vol de son outil de travail , je ne peux plus invoquer autre chose que le vol, je suis coincé et il m’appartiendra d’établir la preuve de ce que j’avance précisément. Cette preuve sera évaluée à l’aune de la définition du vol, comme soustraction frauduleuse d’un bien appartenant à autrui. Si en cours de route, je m’aperçois qu’en réalité il s’agissait d’une forme de déloyauté, d’un abus de confiance, du détournement de sa finalité d’un outil de travail, que l’objet n’a pas été volé, mais détruit sur le lieu de travail par Albert, dans un accès de rage dont il a le secret, ou que plus largement, je suis incapable de démontrer les éléments constitutifs du vol, Albert gagnera probablement son procès.

(3) Dans le cas d’un homme dont l’employeur lui imputait, pour le licencier, d’avoir commis des discriminations, il fallait s’interroger plus avant sur la marge de manœuvre que lui laissait l’énonciation de ce motif. C’était même élémentaire.
Tout d’abord commettre des agissements discriminants n’est pas en soi constitutif d’une infraction. Et invoquer une discrimination faisait encourir le risque de voir s’opposer que ce terme est strictement défini et encadré par le droit. Ensuite, en tout état de cause, en invoquant des agissements répétés de discrimination sous le bénéfice d’une sanction précédente, elle-même contestée devant la Cour d’appel, on limitait un peu plus encore son champ d’action. Si le second manquement répété s’avère en réalité unique par l’effet de l’annulation judiciaire du premier, T2C ne pouvait dès lors plus rebondir, en invoquant un motif plus large que celui d’une discrimination répétée et documentée de telle ou de telle manière. T2 C a juridiquement gravé dans le marbre que sa décision s’expliquait par une réitération qui n’existe plus. Fin de partie.

D’autant que l’appréciation d’un manquement invoqué par l’employeur à l’appui d’un licenciement, lorsque celui ci est susceptible de faire l’objet d’une qualification pénale, est très souvent opérée à partir des éléments de cette qualification pénale. La discrimination prévue et réprimée par l’article 225-2 du Code pénal est sanctionnée lorsqu’elle intervient dans des contextes particuliers : refuser la fourniture d'un bien ou d'un service ; entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque ; refuser d'embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne ; subordonner la fourniture d'un bien ou d'un service à une condition fondée sur l'un des éléments items de discrimination visés à l'article 225-1 - origine, croyance, orientation sexuelle etc..-; subordonner une offre d'emploi, une demande de stage ou une période de formation en entreprise à une condition fondée sur l'un des mêmes éléments; refuser d'accepter une personne à l'un des stages visés par le 2° de l'article L. 412-8 du code de la sécurité sociale. Assurément, le cas de ce salarié ne relevait pas de ces hypothèses.

Plus largement, il semblait bien en l’espèce que T2C versait aux débats des témoignages de collègues féminines affectées au service du contrôle, lesquelles étaient notoirement en conflit avec certains chauffeurs, dont celui ci. Dès lors il était bien hasardeux de partir sur ce motif.

Tout cela est d’autant plus dommage, que le comportement reproché à ce salarié s’entendait plus aisément comme constitutif d’un agissement sexiste, qui est défini par l’article L.1142-2-1 du Code du travail, comme « tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant». Cette notion pouvait d’ailleurs tout à fait être mobilisée indépendamment de l’entrée en vigueur récente de l’article L.1142-2-1 susvisé.

Nul n’était d’ailleurs besoin d’invoquer la religion de ce salarié ou l’obligation de neutralité : il suffisait plus largement d’assoir le licenciement sur un comportement objectivement décrit comme celui qui consiste à refuser de serrer la main des collègues de travail femmes et à rappeler dans les termes les plus larges, qu’au titre de sa mission de service public, T2C ne saurait accepter par ailleurs en son sein de tels agissements. Et sans nul doute, il fallait renforcer ce motif par celui assez imparable de l’obligation de sécurité, dès lors que ces agissements sont susceptibles de porter atteinte à la dignité des salariées et de constituer un risque psychosocial pour leur santé au travail. Tenu d’une obligation de sécurité, l’employeur était à même d’agir par l’évitement d’un risque dont le salarié lui même reconnaissait qu’il était amené à se renouveler. Cette articulation connaît d’ailleurs devant le juge du fond et la Cour de cassation, un succès beaucoup plus documenté que les licenciements pour « discrimination». À l’exception des propos racistes, qui ne sont pas, d’ailleurs, stricto sensu , des discriminations.

Enfin, il est également d’usage, dans les affaires impliquant des refus de serrer la main des collègues femmes, d’assoir le licenciement par un autre motif dont le bien fondé a été retenu de longue date par les juges, à savoir un trouble objectif caractérisé et même surtout, le risque de voir affecté au management de ce salarié... une femme. Or il est constant que le refus de serrer la main de son supérieur hiérarchique rend impossible le maintien du contrat de travail (CA Nancy, 11 septembre 2015 RG n° 14/01320;CA Rouen, 17 juin 2014 RG n° 13/06279). Au cas présent, le salarié admettait que par principe, il refuserait de serrer la main d’une femme, quand bien même demain, elle serait son supérieur.

Feinter dans les prétoires, ce n’est pas s’interdire un débat de société ailleurs, c’est obtenir un résultat.

Car, dans beaucoup des affaires prud’homales qui impliquent le fait religieux au travail, une sorte de jeu du chat et de la souris s’instaure et la cause religieuse est soit mise en avant de manière abusive et dévoyée, soit niée avec toute la mauvaise foi qui s’illustre - sans jeu de mot- dans cette affaire. Et oui, il faut feinter. Chacun sait lire entre les lignes et les procès, dès lors qu’on veut les gagner, sont rarement le bon endroit pour y tenir une tribune politique : seul le résultat compte.

 

Charles Meyer

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